Dissolution, immobilier et emploi des cadres
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Nous avions les freins propres à l’immobilier – crise de la demande doublée de la crise de l’offre – mais les espoirs liés au remaniement gouvernemental et à la baisse des taux.
Nous avions depuis le 31 mai, l’abaissement de la note de la France par Standard & Poor’s mais encore la confiance des investisseurs dans la capacité du pays à améliorer qualité et productivité du travail, à attirer les investissements étrangers.
Nous avons depuis le 9 juin, la dissolution de l’Assemblée Nationale et la porte ouverte à une cohabitation avec l’extrême droite dont les propositions en faveur de la relance du logement sont inexistantes, et qui n’est pas de nature à rassurer les investisseurs. La forte baisse du CAC 40 à cette heure en est le témoin (-6,6% au 14 juin depuis le 7 juin).
Ajoutons à cela les risques géopolitiques qui vont croissants et nous ne pouvons que craindre un risque d’instabilité générale peu favorable au redressement de l’accession à la propriété, à l’investissement immobilier privé et à la relance de l’investissement institutionnel. La lumière espérée au bout du tunnel avec la baisse des taux se fera attendre plus longtemps, c’est ainsi !
Cela rappelle quelque part le déroulement de la crise des années 1990 avec non pas 30 ans d’écart – le point bas de l’activité était les années 1992 et 1993 ; il correspond plutôt aujourd’hui à 2023 / 2024, soit 31 ans d’écart – ce qui nous amènerait à une sortie de crise fin 2027, mais bien sûr ce genre de comparaison a ses limites et nous ne le saurons que rétrospectivement même si déjà à l’époque, les alternances d’espoir et de rechute entre 1992 et 1996, de crise immobilière, économique, politique et de situation géopolitique préoccupante, ressemblaient fort à ce qui se dessine depuis 2023.
Tous secteurs d’activité confondus, le marché du recrutement des cadres recule et les tensions côté employeurs s’atténuent, ce qui n’est pas bon signe. L’APEC a constaté que la part des entreprises ayant finalisé au moins un recrutement de cadre au premier trimestre 2024 a fléchi de 4 points à 10%, que les intentions de recrutement pour le second trimestre ont baissé de 3 points à 9% par rapport aux intentions du second trimestre 2023, atteignant le point le plus bas depuis fin 2020. Quant au conseil en recrutement, Syntec constate une chute de 14% de l’activité sur une année glissante à fin avril 2024 par rapport à la même période l’année dernière. De plus les grandes entreprises comme les ETI, sont de plus en plus nombreuses à internaliser une cellule de recherche « Talent Acquisition ». La part des recrutements de cadres passant par le conseil semble stagner à 25% en France (il est supérieur à 70% au Royaume Uni).
Côté cadres, toujours tous secteurs, les intentions de mobilité externe se maintiennent : la majorité considère toujours le changement d’entreprise comme une opportunité plutôt que comme un risque, les cadres restent ouverts à d’éventuelles propositions d’emploi, enfin, 13 % d’entre eux prévoient de changer d’entreprise dans un délai de 3 mois (+1 pt par rapport à mars 2023).
Nous n’avons pas d’enquête spécifique aux professionnels de l’immobilier comparable à celle de l’APEC pour l’ensemble des cadres, mais au vu de la conjoncture propre à nos métiers, nul doute que le solde net [recrutements – départs] soit négatif au moins dans les métiers de la promotion immobilière résidentielle, sans doute aussi dans l’investissement bien qu’il y ait eu moins de départs et que les effectifs soient moins étoffés que dans la promotion. Par ailleurs des reconversions de l’investissement vers l’expertise ou l’asset-management sont possibles. Quant aux postes techniques / travaux / AMO sur patrimoine existant, ainsi que ceux de la gestion de biens et d’actifs, nous constatons que les besoins sont toujours présents ; au global ces fonctions représentent les 2/3 de notre activité à fin mai.
Certes l’écart se creuse et nous enregistrons sur ces cinq premiers mois 2024 une chute de 21% des missions signées par rapport à la même période de 2023 ; de 39% depuis deux ans à fin mai 2022. La forte baisse du CA correspondant est partiellement compensée par la croissance de notre activité de Talent Development lancée fin 2021, et par le démarrage du Management de Transition en décembre dernier.
Les fonctions techniques, travaux, Ingénierie, bâtiment, énergie décarbonée dominent, totalisant 35% des missions signées en valeur, en particulier les chefs de projet et responsables opérations immobilières pour de grands utilisateurs, des sociétés d’AMO, quelques missions de promoteurs en direction technique opérationnelle et « construction manager », principalement sur les locaux d’activités et la logistique, des ingénieurs étude de prix en entreprise générale et un directeur d’opérations en étanchéité, couverture, bardage, enfin, des responsables études photovoltaïques pour la filiale de diversification d’un groupe immobilier. à ce sujet nous observons un fort développement du photovoltaïque ; propriétaires et gestionnaires investissent dans ces installations, réduisant leur facture d’électricité, donc les charges locatives, et contribuant à valoriser leur patrimoine. Ainsi, les professionnels de l’immobilier sont de plus en plus sollicités pour conseiller et accompagner leurs clients dans l’étude et la mise en place de solutions photovoltaïques adaptées à leurs besoins. De la phase de concertation jusqu’à la mise en service, en passant par le développement, les études, le management de projet, les spécialités liés au stockage, aux raccordements, au financement et à la tarification, le photovoltaïque offre de nouvelles opportunités et les talents sont recherchés pour rejoindre les acteurs engagés depuis plusieurs décennies, tout comme les nouveaux entrants qui se diversifient.
Viennent ensuite, quasiment à égalité à 20%, les directions générales, dans les services immobiliers tertiaires ainsi que dans la promotion en activités et logistique, et les missions d’investissement, de gestion – exploitation et d’asset-management : direction d’exploitation de RSS, direction d’investissement pour un développeur – investisseur de l’immobilier commercial régional, direction d’arbitrage Europe en Hospitality, d’asset-management et développement pour une société d’investissement et de gestion d’actifs, enfin, « technical asset-manager » pour un opérateur européen de l’asset et du property-management.
Le développement – montage et la gestion de programmes immobiliers sont toujours présents après la chute vertigineuse due à la crise de la promotion immobilière. Ils ne représentent plus que 14% de nos missions, dans le logement social, la promotion privée résidentielle – rare et plutôt au sein d’ETI en croissance contracyclique -, chez les opérateurs de parcs d’activité, enfin, dans le développement d’espaces commerciaux : directeur / responsable du développement, de programmes…
Les fonctions commerciales – marketing et de prescription en BtoB, les fonctions corporate, notamment en finance-comptabilité dans le logement social et le property-management, arrivent en dernière position avec un peu plus de 10% des contrats signés en valeur.
Par métier, malgré les difficultés de la profession, les promoteurs et bailleurs sociaux arrivent en tête, représentant 26% du total, puis les services immobiliers à 22%, l’immobilier du commerce et de la distribution à 20%, les directions immobilières des grands utilisateurs à 12%, tout comme les opérateurs de la construction, ingénierie, AMO et entreprises. Les investisseurs institutionnels et le logement social ferment la marche totalisant 8% de nos missions en valeur.
Avec le coup de Trafalgar de la dissolution au plus mauvais moment, nous replongeons malheureusement dans plus d’incertitudes, économiques et financières qui risquent de toucher les taux, au mieux de les voir baisser moins vite que prévu et de différer les projets des entreprises dont leurs besoins immobiliers dans l’attente de la ligne politique des nouveaux élus. Bien sûr il en est de même pour la reprise de l’investissement privé et institutionnel, l’accession à la propriété et la transaction en ancien dont les acheteurs étrangers, le comble étant, comme l’a noté Pascal Boulanger, Président de la FPI (Fédération des Promoteurs Immobiliers), que le Président de la République a fait son premier « mea culpa » sur le logement, envisageant enfin d’agir sur la question du logement lors de sa conférence de presse, après avoir annoncé la dissolution.
L’économie, déjà perturbée par les Jeux Olympiques jusqu’à fin septembre, risque de connaître une phase de glaciation sur le second semestre 2024. L’immobilier dont la crise, visible à partir du second trimestre 2023, commençait à générer des opportunités schumpétériennes, va en souffrir. Sauf bonnes surprises, mais lesquelles ?
1993 n’est pas loin, mise à part, heureusement, la crise bancaire. Espérons qu’elle ne couve pas !
Sophie Vatté et Laurent Derote