Les enjeux ressources humaines après la crise…

Par Publié le : 21 juillet 2021Catégories : articles DVATags: ,

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« La crise et la généralisation contrainte du télétravail dans une grande partie de la population active, du «distanciel », néologisme né de la pandémie, qui a sans doute été un atout considérable pour limiter les effets néfastes économiques et sociaux du premier confinement, se révèlent avoir des conséquences propres qui interpellent toute l’organisation du travail » fait valoir Laurent Derote. Le président de DVA Executive Search estime, au final, que « pour prendre le tournant provoqué par la crise de la pandémie, il y a un gros travail de réflexion, de conception et de mise en oeuvre, qui doit partir des directions générales, en osmose avec leurs DRH et leurs conseils, pour être ensuite relayés par l’encadrement dans une philosophie de management à la fois bienveillante, accompagnante, participative, motivante et enthousiasmante, ceci dans un monde devenu brutalement instable dans les perceptions et les consciences ». Laurent Derote détaille ici les enjeux auxquels doivent et devront faire face les managers…

« Le Panorama de l’Immobilier et de la Ville » réalisé par EY après enquête auprès de 1 000 dirigeants de l’immobilier face à la crise en décembre 2020 présente l’une des préoccupations majeures des interviewés : les deux tiers estiment que le télétravail impactera profondément les modes de vie, les territoires, l’immobilier et les formes urbaines d’ici cinq ans.

L’effet accélérateur du Covid
De fait, il s’agissait d’évolutions tendancielles que la pandémie a transformées en vraies révolutions. En une année, le pavé dans la mare du Covid a fait avancer dans le temps ce qui aurait peut-être pris une décennie, voire plus, imprimant dans les esprits les aspirations d’espace vert, de nature, de qualité de vie, « d’espace vital », de qualité de l’air… Ce qui conduit tout naturellement à la conscience accrue de la nécessité de transition environnementale, sachant que derrière cette perception se cachent des points de vue et des visions parfaitement contradictoires ; ceux des « objecteurs de croissance » et ceux de la croissance durable. C’était déjà le cas « avant », mais la pandémie a participé à la radicalisation des positions, au risque de dépasser le stade de la pression sans cesse plus grande exercée sur l’opinion et les politiques pour arriver au terrorisme écologique d’un côté, aux violences réactionnaires de l’autre. Sur un autre plan, moins sujet à l’extrémisme, on entendra les partisans de « la ville du quart d’heure », densifiée verticalement au nom de la ZAN (zéro artificialisation nette, ndlr), favorisant à l’extrême les transports collectifs et ceux qui pensent qu’elle est invivable, qui militent en faveur de la multipolarité, qui rêvent d’habitat individuel et de campagne à l’abri de l’agitation et des risques de contagion de la métropole, privilégiant les moyens de transport individuels. Les deux points de vue sont, cependant, conciliables si chacun respecte la position de l’autre : il n’y a pas que les métropoles, même en terme d’activités économiques – les départements dynamiques et autonomes sans ville de plus de 55 000 habitants existent – et il faut aussi s’occuper des zones péri-urbaines et rurales dans une politique d’aménagement du territoire équilibrée. Et, bien sûr, il est indispensable de remédier aux problématiques des agglomérations en termes de qualité de vie, de facilité de transport, de santé, de productivité et d’économie durable tout à la fois.

Dans ce contexte, tous les usages de l’immobilier – et pas seulement « de la ville » – sont à revoir, à réinventer, à segmenter et ce, dans une optique de construction, d’économie circulaire et d’exploitation durables. Tous les professionnels doivent se projeter : où et comment les utilisateurs finaux d’immobilier voudront-ils vivre, travailler, se distraire ? Dans quel environnement « premier » – aménagement et configuration des surfaces privées, communes, extérieures et espaces verts, « second » – quartier, ville, transports et infrastructures, services de proximité, « troisième » –urbanité, péri-urbanité, ruralité ?… Et ce, bien sûr, pour le résidentiel, les résidences services, les espaces de travail : tertiaire pur, tiers lieux, activités et « clés en main », logistique et industriel, « high-tech », commerces, dont « high street » et centre-ville, les centres commerciaux, « retail parks », « outlets », immobilier de loisir… Enfin, au-delà de la segmentation des usages, se situe l’harmonie du « mixed use » intégrant toutes les activités adaptées dans l’espace, de la métropole à la ruralité et aux infrastructures, dont bien sûr les services publics.

Ce fort accroissement du « mixed use », avec la digitalisation de l’immobilier qui l’accompagne, constitue un premier défi pour les organisations de la production immobilière, traditionnellement segmentées verticalement par usages, même si depuis longtemps déjà, les opérateurs ont compensé la spécialisation par produit par la transversalité dans des organisations de plus en plus matricielles chez les grands promoteurs : équipes grands projets, aménagement, résidences services…

En effet, il est de plus en plus nécessaire de revoir les organisations afin d’intégrer des professionnels polyvalents, qui raisonnent global, « en assembleurs », et qui connaissent donc différents marchés, ceux du résidentiel, ceux du travail, ceux des loisirs, du commerce, de la santé, des infrastructures et des équipements publics, qui ont une vision moyen/long terme et qui sont très opérationnels. Ce qui doit aussi passer par la fluidité de la mobilité interne, s’accompagnant de formations adaptées.

Revoir les organisations humaines dans le sens d’une plus grande polyvalence, favoriser la mobilité professionnelle et retenir les talents
L’un des premiers défis des dirigeants de l’immobilier en matière de ressources humaines, conséquence directe de l’accélération brutale de l’évolution des usages, est donc la mise en place d’une organisation optimale par rapport à ces grands changements, moins cloisonnée par produit, depuis l’amont, les développeurs, jusqu’à la production, les responsables de programmes/opérations, la vente et les services restant difficilement « décloisonnables » entre natures d’utilisateur final « BtoB » et « BtoC ».

Pour y répondre, le recrutement restera une solution. Mais les grandes organisations de la promotion, en particulier, peuvent aujourd’hui souffrir de sureffectif, notamment chez les commerciaux lorsque les encours à la vente ont fortement baissé. Pour retenir les talents et optimiser les organisations dans ce nouveau contexte, il est donc prioritaire de développer rapidement la mobilité interne, de favoriser le changement « positif et motivant », verticalement, mais aussi horizontalement en pratiquant une politique de « talent development » afin d’assurer une bonne adéquation entre les besoins de l’entreprise et les compétences des collaborateurs, et une formation stabilisatrice, en savoir-être et savoir-faire.

Autre facteur de motivation, notamment pour les « jeunes talents », auquel doivent être sensibles les dirigeants de l’immobilier : la responsabilisation, la participation aux décisions, le développement des initiatives individuelles et de groupe, la refonte des politiques de rémunération et de distribution. Le mode de management autocrate et vertical n’est plus d’actualité. Là encore, la crise a joué son rôle d’accélérateur… d’obsolescence. Les jeunes et moins jeunes sont de moins en moins enclins à supporter les caractériels et le management « à l’ancienne ».

Mais la crise et la généralisation contrainte du télétravail dans une grande partie de la population active, du « distanciel », néologisme né de la pandémie, qui a sans doute été un atout considérable pour limiter les effets néfastes économiques et sociaux du premier confinement, se révèlent avoir des conséquences propres qui interpellent toute l’organisation du travail.

Remotiver les équipes longtemps dispersées, redonner le sens de l’engagement, le goût et la pratique du travail collectif, organiser la réappropriation du projet d’entreprise et de ses valeurs.
Quoi qu’en disent les admirateurs de la généralisation du distanciel et même si indépendants, cadres internationaux, professionnels des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, ndlr), pratiquaient déjà la visioconférence dans leurs travaux de groupe, l’éloignement général a fortement dégradé le « travailler ensemble » selon la plupart des dirigeants et il est urgent de remettre du lien au sein de l’équipe et entre les équipes. Depuis plus d’une année maintenant, l’entreprise est devenue un écosystème de collaborateurs éparpillés travaillant dans des conditions très hétérogènes, entre les présents à horaires fixes, qui bénéficient d’une flexibilité du temps de travail, ceux qui sont en activité partielle, en télétravail…

Le télétravail est, sans doute, un progrès dans une certaine mesure, mais la question reste de savoir quelles sont les limites de sa substitution au« présentiel ». Ce qui est certain, c’est qu’il nécessite à la fois une grande autonomie du télétravailleur et un mode de management spécifique. Encadré de façon trop pointilleuse par manque de confiance du manager, il peut devenir une nouvelle source de crispation, voire de « burn out ». Insuffisamment animé, la désocialisation guettera certains, fera perdre motivation, organisation et sens des priorités. Ainsi, un nouveau besoin apparaît-il : la formation du manager au pilotage des équipes à distance. D’autant que deux qualités du manager s’expriment plus difficilement, voire pas du tout dans ce contexte, le renvoyant à une voix ou une image en deux dimensions, sous un seul angle, manquant d’expression corporelle : le charisme et la capacité à créer les conditions d’une sérendipité positive – hasards des relations formelles et informelles d’une équipe présente sur un même lieu, créant les interactions neuronales, spontanées, initiatrices d’idées nouvelles, de solutions originales… Cela, malheureusement, le télétravail ne le permet pas, les synergies de groupe sont difficiles à stimuler, chaque participant est « dans son tuyau » et« les synapses » ne fonctionnent pas.

Aussi, deux questions fondamentales se posent : le travail d’équipe est-il compatible avec des expériences plus individuelles, une proximité virtuelle, des rythmes de travail déphasés ? Et si oui, comment l’optimiser, créer les sérendipités proactives, avec vivacité et créativité, lorsque ses acteurs sont éclatés sur des sites différents, chacun voyant tous les autres à l’intérieur d’un « portrait-timbre poste » sur un écran ?

La dimension relationnelle et collaborative du travail a été fortement impactée par la crise, générant baisse de l’engagement et de l’adhésion aux valeurs, dont celles de l’entreprise, perte de sens. La nécessité de réappropriation du projet d’entreprise, de ses valeurs, de sa culture par les collaborateurs est une priorité absolue.

Repenser l’environnement de travail afin d’apporter une sécurité psychologique aux collaborateurs perturbés par la crise, se projeter dans l’après-Covid
Cette situation a aussi créé un sentiment d’isolement, de perte de repères, voire de culpabilité, aboutissant à des remises en question, de la passivité, des états dépressifs. Certains veulent revenir dès que possible au bureau, mais ne retrouvent plus la situation antérieure lorsqu’ils y sont avec un effectif à 50 %, dans le meilleur des cas… D’autres tirent apparemment les avantages de la situation : disparition des contraintes de transport aux heures de pointe, flexibilité du travail, adaptabilité apparente au télétravail… Mais, outre le fait qu’ils s’habituent à oeuvrer pour eux et moins pour le but commun à l’équipe, ils peuvent eux-aussi être mal dans leur peau, n’arrivant pas à arbitrer entre subir de nouveau les contraintes antérieures pour rejoindre comme avant leur lieu de travail, et travailler chez eux dans l’isolement, l’absence de diversité dans le travail, les lieux d’échanges et de vie.

Il est donc indispensable que les dirigeants se projettent dans le télétravail de l’après-crise et structurent leur organisation afin de redonner des bases solides et stables, en intégrant l’ensemble des données : congés et RTT, flexibilité, périodes de télétravail et ceci, sans doute, en fonction des activités – bon nombre d’entre-elles, même au sein de la même entreprise, ne se prêtent pas au télétravail -, des collaborateurs – certains n’ont pas l’autonomie suffisante -, des périodes de congés – faudra-t-il créer un compte « télétravail » ? -, des jours de la semaine – afin d’éviter que tout le monde soit en télétravail le lundi et le vendredi. Et « quelle dose de télétravail » : une journée au minimum, souvent deux désormais, parfois plus, certains réfléchissent même à l’extrême de 100 %, ce qui est d’ailleurs pratiqué dans les banques et les assurances notamment, mais aussi dans les hautes technologies. Il y a des collaborateurs qui n’ont pas remis les pieds au bureau depuis mars 2020 ! Cette situation sera-t-elle pérennisée ?

Si l’on combine ce contexte avec l’organisation spatiale des bureaux, des besoins en surfaces, nul doute que le sujet est ardu, pour les dirigeants, managers et DRH !

Et il ne faut pas non plus que le télétravail – à tort ou à raison – apparaisse comme un privilège par ceux qui ne peuvent pas en bénéficier, au travers des avantages de flexibilité qui peuvent être perçus comme tel sans en voir les inconvénients, ce qui signifie qu’il faudra aussi, dans certains cas, envisager de donner des compensations dans un esprit d’équité. Voilà probablement encore un impact indirect.

Enfin, les risques psychosociaux sont considérablement accrus, l’effet de décompression une fois la reprise revenue, après incubation. Il est nécessaire de les anticiper en créant des structures ad hoc en interne.

Veiller à l’intégration des nouveaux collaborateurs, en particulier des jeunes, développer l’accompagnement au changement et à l’instabilité qui s’inscrit désormais dans le temps
Depuis mars 2020, la vie a été particulièrement difficile pour les nouveaux arrivants, en particulier pour les jeunes, pour les métiers relationnels et commerciaux. Comment organiser une prospection qualitative, développer un carnet d’adresses, avec des webinaires, sans colloques, salons ni clubs professionnels, sans déjeuners d’affaires, sans évènementiels ?

Il est urgent de remédier aux traumatismes de cette période et d’éviter de porter des jugements trop hâtifs sur ceux qui n’ont pas été aussi performants qu’attendu et/ou qui se sont mal intégrés dans ce contexte. Là aussi, il est sans doute utile de structurer une formation et un accompagnement, à l’intégration, à la négociation et aux actions commerciales, et, de façon générale, un accompagnement au changement et à l’instabilité.

Valoriser les « soft skills » prioritaires aujourd’hui
L’adaptabilité, la capacité à communiquer (aux bons rythmes, avec les bonnes applications, auprès d’équipes dispersées), la pédagogie et la bienveillance qui rassurent et confortent, la volonté affirmée de travailler en équipe et de ne pas se laisser aller au travail individuel, l’ouverture au digital et à la maîtrise des outils numériques, l’autonomie, la capacité à positiver, à être constructif, à redonner le moral, sont les « softskills » (compétences de base, ndlr) particulièrement nécessaires aujourd’hui et demain.

Poursuivre la recherche de la parité homme/femme, en particulier dans le management et les équipes dirigeantes de l’industrie immobilière.
En dehors du monde institutionnel qui a bien évolué ces dernières années depuis la loi Copé-Zimmermann voici plus de dix ans, et aussi de certaines populations commerciales, par exemple dans la négociation locative de surfaces commerciales, les métiers de l’industrie immobilière restent encore très majoritairement masculins, et c’est d’autant plus vrai quand on monte dans la hiérarchie. La part de 17 % de femmes se retrouve encore trop souvent chez les opérateurs immobiliers, bien loin des 46 % que l’on trouve désormais en France dans les conseils d’administration des sociétés cotées. Cela passe aussi par la fluidité et la mobilité professionnelle, par l’ouverture à des profils différents pour intégrer les femmes lorsqu’il en manque dans une population de managers recherchés.

Incontestablement, pour prendre le tournant provoqué par la crise de la pandémie, il y a un gros travail de réflexion, de conception et de mise en oeuvre, qui doit partir des directions générales, en osmose avec leurs DRH et leurs conseils, qui sont d’ores et déjà fortement sollicités en matière d’organisation, de process, de « talent development », pour être ensuite relayés par l’encadrement dans une philosophie de management à la fois bienveillante, accompagnante, participative, motivante et enthousiasmante, ceci dans un monde devenu brutalement instable dans les perceptions et les consciences. La « bonne recette de télétravail » désormais incontournable là où il peut s’exercer, doit être trouvée dans chaque organisation, ce qui conditionnera d’ailleurs l’évolution des besoins en matière de surfaces de bureaux notamment, ce que personne ne peut encore évaluer à ce jour. Quoi qu’il en soit, quelqu’un que je ne nommerai pas a écrit, il n’y a pas longtemps : « nous sommes des êtres humains, à la fois indépendants et sociaux, nous avons besoin de nous rencontrer, de nous percevoir, d’être en empathie pour créer, travailler à une oeuvre commune, réaliser, donner du sens… ». A titre personnel, je souscris à 100 % !

 

 

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