Les grands enjeux de la promotion immobilière

Par Publié le : 12 janvier 2022Catégories : articles DVA

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Jamais les enjeux ne s’étaient accumulés aussi nombreux, aussi impérieux, sur un temps aussi court depuis la fin des années 1990. La pandémie agit de fait comme un formidable catalyseur du changement, accélérant « tout en même temps » avec le même degré d’urgence : généralisation de la digitalisation de la phase amont conception / instruction à la phase aval construction et au parcours client dont la contractualisation, exigences environnementales et réglementaires, ZAN et contrainte de l’offre foncière, nouvelles exigences sociales, sociétales et nouveaux usages, adaptation des prix et des coûts à la solvabilité des ménages….

La promotion « en marche », développement et diversification !
Après une année 2020 difficile sans compter la précédente déjà marquée par le malthusianisme foncier des élus, la profession démontre une extraordinaire capacité de rebond qui, si elle ne se voit pas encore dans les chiffres, est perceptible au travers d’une intense activité de recrutement et d’une excellente commercialisation B2C, aidée par la demande de ménages qui ont beaucoup épargné et qui plébiscitent le neuf. La baisse des ventes en bloc au second trimestre de cette année par rapport à 2020, l’insuffisance de permis de construire accordés, n’ont pas permis de renouer avec le niveau d’activité qui précédait les élections municipales ni de rattraper le retard accumulé, mais la dynamique de la demande des particuliers est bien là, les programmes qui restent à vendre, se commercialisent vite…

Cette capacité de rebond après plus d’une année de pandémie est aussi évidente au travers des nombreux mouvements de la profession, de ses satellites et partenaires : croissance externe, nouveaux venus « promotion digital native », diversification dans toutes les directions, géographique d’abord, les régionaux accélèrent leur développement sur Paris et Ile-de-France, les franciliens multirégionaux poursuivent leurs implantations recherchant aussi des promoteurs à acquérir, les nationaux créent des filiales nouveaux produits dans les métropoles ; diversification par produit ensuite : résidences gérées et nouveau produit « coliving » chez les promoteurs résidentiels classiques mais aussi les opérateurs en immobilier d’entreprises. Pour ces derniers, l’ouverture au logement s’accélère, d’abord par les programmes en bloc destinés aux institutionnels et aux bailleurs sociaux dans les opérations mixtes, lesquelles se généralisent d’ailleurs partout, souvent pilotées par de nouvelles équipes dites « grands projets ». Les promoteurs en tertiaire s’ouvrent à la logistique et aux parcs d’activité même s’ils ont été longtemps réticents, les opérateurs en logistique ou en commerce créent leur activité résidentielle… Bref, les ETI -qui n’ont pas réellement souffert de la pandémie car elles étaient peu staffés – et les grands promoteurs cherchent plus que jamais à se développer là où il ne sont pas, marché produits et marchés géographiques, l’Ile-de-France et le résidentiel étant bien entendu les premières cibles de tous les leaders régionaux. Plus généralement, chacun cherche à sortir de ses frontières dès qu’il a atteint la maturité pour investir de nouveaux marchés afin de continuer à croître. Par ailleurs la filière ne se concentre guère car la multitude de promoteurs qui la constitue est plus que jamais entretenue par la création permanente de nouvelles sociétés de promotion, le plus souvent par les cadres des promoteurs structurés qui les quittent pour se mettre à leur compte en s’associant avec leurs relations et en s’assurant de la fidélité de partenaires, notamment banquiers voire désormais, fonds d’investissement.

Le temps des alliances promoteurs – investisseurs et de la perméabilité des métiers
La constitution d’un réseau de partenaires est plus que jamais à l’ordre du jour. Si la copromotion était déjà courante dans une profession ou l’on pouvait être à la fois concurrent en général et partenaire sur certaines affaires, partageant la marge et se répartissant les honoraires en fonction des missions plus particulièrement dévolues à chacun, le partenariat s’est généralisé notamment par le truchement des grands appels à projet, s’élargissant parfois à des dizaines d’intervenants sur de très grands programmes, opérateurs, bailleurs sociaux, architectes et maître d’œuvre de réalisation, BET généraliste et spécialisés, entreprises, bureaux de contrôle, investisseurs, utilisateurs…

Mais au-delà des intervenants habituels de l’acte de construire, les financiers et les investisseurs s’y sont aussi invités de manière très opérationnelle sous toutes les formes, non plus seulement en financement court terme promotion, participation en fonds propres ou structuration pour les plus grandes opérations, mais aussi en recours au crowfunding, aux fonds de dette, au partenariat dans des fonds d’investissement constitués pour l’acquisition de charges foncières sans conditions suspensives pour les grands promoteurs (façon de répondre à la pénurie foncière sur le moyen-long-terme, en partenariat avec un grand propriétaire foncier), au partenariat dans un JV investisseur / promoteur, ou encore en constituant une SGP pour lever des FIA destinés à développer des opérations selon un cahier des charges défini avec les investisseurs, le plus souvent portées par des véhicules de type OPPCI, mais aussi FPCI, voire même SCPI ET OPCI au travers d’une SGP faisant appel à l’épargne publique…Le rapprochement peut même aller jusqu’au rachat par un grand opérateur déjà promoteur et foncière, d’un leader de l’épargne immobilière et de la gestion d’actifs…

C’est ainsi que des promoteurs sont devenus investisseurs et naturellement asset-managers, et inversement, des investisseurs sont devenus promoteurs. La financiarisation de la promotion conjuguée à l’opérationnalité grandissante des investisseurs institutionnels et au rapprochement des métiers, est une évolution marquante des dernières années, accélérée par la pandémie.

Du développement durable à l’ESG et la conformité, la crainte de la crise d’image
Le développement durable était un enjeu plus classique du promoteur. Mais il ne s’agit plus seulement de communiquer sur des intentions ou de respecter une règlementation au demeurant de plus en plus restrictive avec la RE 2020, encore moins de pratiquer le « greenwashing ».

Désormais, tout comme l’investisseur institutionnel qui lui achète ses bureaux et ses logements en VEFA, ou qui lui confie des MOD ou CPI, le promoteur se doit de démontrer, au travers d’audits et de certifications sans cesse plus nombreuses et plus pointues, touchant à la construction et à l’exploitation, que ses réalisations sont non seulement irréprochables, mais qu’elles apportent une valeur ajoutée en matière de décarbonation par les matériaux utilisés, l’économie circulaire, les techniques de construction.

Plus encore, tout doit être fait en interne, dans la politique et l’organisation de l’entreprise, pour y contribuer, pour être vertueux, jusqu’à l’hybridation du parc de véhicules de société. La crise d’image en cas de manquement apparaît désormais comme un risque impossible à prendre, évidemment pour des sociétés cotées mais plus généralement pour des opérateurs en vue, et bientôt sans doute, pour toute la filière : les médias – ou les clients, se chargeront un jour ou l’autre de dénoncer les problèmes et incohérences, et en dehors même du risque pénal de non-respect de la règlementation, le risque d’image pour un investisseur et conséquemment pour ses clients et partenaires, est considérable tant le développement durable mais aussi l’éthique, prennent désormais les premières places dans l’opinion publique, encore amplifiées par les réseaux sociaux. De caractère moral, les critères ESG – Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance, constituent désormais les trois dimensions principales utilisées pour mesurer la durabilité et l’impact éthique d’un investissement « responsable ». Les plus grands promoteurs et constructeurs, sans parler des investisseurs et banquiers pour lesquels c’est consubstantiel depuis longtemps, ont mis en place une direction de la conformité, le plus souvent directement rattachée à la Direction Générale. Ainsi assiste-t-on à une forte moralisation de la promotion immobilière comme de la finance, allant jusqu’à l’entreprise à mission avec la création d’une fondation œuvrant pour des actions humanitaires ciblées et locales.

Comment résoudre la quadrature du cercle !
Le développement durable, ainsi que la rareté foncière résultant notamment des tendances actuelles vers le ZAN, et des comportements induits chez les élus et les administrations de tutelle, ont pour conséquence (1) une augmentation des coûts de construction et foncier, alors même que la solvabilité des ménages chute malgré des taux d’emprunt toujours à la baisse, (2) une orientation vers la densification de l’habitat, souvent refusée par les riverains, leurs élus et la clientèle.

Enfin, la pandémie a provoqué des évolutions sociétales importantes comme nous le savons, en matière d’habitat – beaucoup plus de vert, d’espace, de balcons et d’ouvertures sur l’extérieur, plus de pièces pour le home-office, plus de recherche de convivialité, de la désaffection pour la ville dense et impersonnelle…Et en matière de bureau – beaucoup plus de connexions, de services, d’espaces de travail en équipe, du nomadisme bureau-domicile-tiers-lieux dont le coworking, et sans doute globalement moins de surfaces. Pour le commerce, plus de proximité, plus de services et loisirs, moins de prêt-à-porter dans des centres commerciaux devenus hyper-connectés. Quant à la logistique, moins d’emprise au sol – et donc des plateformes à étages avec rampe d’accès adaptée, et plus de logistique « du dernier kilomètre » ; des parcs d’activités plus architecturaux aussi…

Toutes ces contraintes apparues ou amplifiées subitement lors de la pandémie, en tout cas dans l’urgence impérieuse de les résoudre rapidement, ont eu la grande vertu dans l’ensemble de la filière, de provoquer un fort questionnement et la recherche très active de solutions pour rendre conciliables autant d’injonctions contradictoires. C’est ainsi que tout s’est accéléré en très peu de temps : recherche sur les produits, les matériaux et les techniques de construction, économie circulaire, optimisation de la gestion, digitalisation sur tous les fronts pour accroître productivité et efficience avec le concours de l’ensemble des acteurs de la « RENT » (Real Estate and New Technologies). Le développement contraint des logiciels de visioconférence, de la signature électronique, ont été des moteurs puissants dans des délais raccourcis de l’ensemble des applications d’amont en aval, internes à l’entreprise – CRM, marketing et datas, recherche foncière, gestion d’entreprise, BIM, appels d’offres ; applications externes avec partenaires fournisseurs, riverains et futurs clients consultés afin de co-concevoir les programmes de promotion et les services liés en pied d’immeuble ; applications externes et internes enfin, avec l’indispensable parcours client.

Fort rebond de l’activité et situation pénurique du marché de l’emploi
Si la première réaction des promoteurs a été l’attentisme durant les trois premiers trimestres de l’année 2020 avec néanmoins un effet de rattrapage en juin et juillet, la profession s’est animée dès le dernier trimestre pour rebondir fortement en 2021, réorganisant, optimisant, gérant, investissant et développant…avec des équipes adaptées, ce qui s’est traduit par un très fort courant de recrutements, tous plus urgents les uns que les autres. Comme nous l’avons écrit précédemment, la filière représentait 50% de nos missions à la fin du troisième trimestre, en premier lieu pour des directeurs et responsables du développement dont des directeurs en charge des relations avec les collectivités territoriales ex-attachés parlementaires passés par la direction de cabinet d’élus, à l’écoute des besoins des collectivités, en amont des directions du développement. Mais les directeurs et responsables de programmes ayant l’entière responsabilité de la construction en tant que maître d’ouvrage arrivent juste après, ainsi que les fonctions corporate – administration, finance, gestion, juridique, RH, et conformité, puis les patrons de centre de profit et les directions générales, d’un niveau élevé et d’une dimension managériale incontestable, enfin, les responsables et directeurs techniques – travaux.

Fait caractéristique de la période actuelle, tous les professionnels confirmés en « middle management », sur tous les marchés géographiques, sont approchés en permanence, jusqu’à 2 à 3 fois par semaine pour les développeurs en Ile-de-France mais pas seulement. Cette sur-sollicitation est encore accentuée par la pratique de cabinets qui travaillent sans exclusivité, souvent à plusieurs sur un même poste pour le même client, sans le savoir, ce qui dessert bien évidement la profession et celle du conseil en recrutement. L’emballement est général, tous les opérateurs recherchent les mêmes profils sur la même période, et la situation est pénurique ! Ce n’est pas la première fois, la profession en est coutumière et bien sûr, elle n’est pas la seule. Le numérique et IT connaît cette pénurie depuis longtemps ; elle se généralise a de nombreux secteur de l’économie du fait du fort rebond de l’après-covid : +6,5%, +3,8%, +2,3% de croissance du PIB prévue en 2021, 2022, 2023 en France, l’hexagone et l’Italie étant les championnes du rebond en Europe selon Les Echos du 12 novembre…

Les élus deviendront-ils bâtisseurs ?
Tout semble donc favorable, y compris le dynamisme de la filière dans un environnement général de fort rebond économique. Mais tout n’est pas gagné car les injonctions contraires doivent faire l’objet d’arbitrages qui dépendent des pouvoirs publics alors même que nous allons rentrer en période électorale.  « La reprise est à portée de main si les pouvoirs publics prennent le sujet à bras-le-corps, il faut travailler avec le secteur bancaire pour desserrer les contraintes sur le crédit et, surtout, avec les élus locaux pour partager une ambition bâtisseuse au service de la ville durable et abordable » estimait la Présidente de la FPI en 2020.

Si des avancées ont effectivement eu lieu en matière de prolongation du Pinel et du PTZ, la crainte des conséquences de la nouvelle période d’élection qui s’annonce et des aléas conséquents, « le poids de l’administration et des méthodes qui ne permettent pas de rapprocher le temps politique au temps économique », la difficulté des élus à prendre conscience « que la ville de demain se prépare dans les permis de construire d’aujourd’hui », enfin, trop de zèle à appliquer le ZAN jusqu’à pratiquer « le ZAB » dans certaines métropoles (Zéro Artificialisation Brute) peut faire retomber cette dynamique et accentuer encore l’accumulation des déséquilibres en matière de réponse aux besoins de logements. Les stratégies de transformation numérique en cours, le développement de nouveaux produits dont le démembrement pour alléger les prix, la transformation de bureaux en logements ainsi que le recyclage de zones industrielles ou de « dents creuses », s’ils sont nécessaires, ne suffiront pas à combler le retard. Reste la question d’une « densification raisonnable » en hauteur qui n’est pas encore résolue pour qu’elle soit acceptée par les acheteurs, les investisseurs et les locataires, qui rêvent bien plus qu’avant de « se mettre au vert ». La quadrature du cercle n’est pas encore approximée, mais soyons optimiste, la filière promotion – construction totalise plus de 2 millions d’emploi et 11% du PIB. Les politiques ne peuvent pas l’ignorer complétement…

Sophie Vatté-Refes et Laurent Derote

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